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[Édito] 2015 : est-ce la fin de l’infobésité, le sacre du « slow » et du long format ?

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De plus en plus, l’information est partout, tout le temps. Mais pour autant, est-ce que nous sommes mieux informés ? Certains n’en sont pas persuadés et ont décidé de ralentir le rythme et de miser sur les services et sur le fond, en marge de ce déferlement de « news ».Je ne sais pas vous, mais moi, je n’arrive plus à suivre le rythme de l’actualité. Ces dernières années, que ce soit à travers les chaînes d’information en continu ou avec le développement croissant des sites d’information en ligne, on ne peut que constater que le volume de « news » devenait trop important à « consommer », avec un flux qui ne s’arrête jamais et dont on ne semble pas toujours se demander s’il remplit bien son rôle : celui d’informer les citoyens sur des sujets sérieux et parfois spécialisés ou même sur des faits un peu plus… légers. Trop d’information tue l’information Une situation à qui l’on a donné un nom : l’infobésité. Car désormais, tout ce qui peut se passer à travers le monde ou même au niveau local est traité, parfois des dizaines ou des centaines de fois, à un rythme effréné. Et chacun peut devenir une source d’information à travers un compte public sur les réseaux sociaux, un blog ou même une chaîne YouTube. De quoi créer un véritable brouhaha dans lequel il est facile de se perdre (le rêve des adeptes de la sérendipité). Mais comment réussir à suivre tout cela et à s’y retrouver ? C’est tout bonnement impossible avec les outils actuels. Pendant longtemps, les lecteurs de flux RSS ont été la norme, mais ils sont devenus de véritables usines à liens où l’on se retrouve facilement avec plus de 1 000 contenus publiés si on ne fait pas le tri pendant quelques heures. Il en est de même pour Twitter ou les autres réseaux sociaux pour peu que l’on suive quelques dizaines de comptes actifs. Ainsi, malgré cette impression d’avoir accès à tout, on passe facilement à côté de l’essentiel puisqu’incapables de tout suivre de manière constante, surtout lorsque cela n’est pas notre métier. On peut donc facilement ne jamais avoir connaissance d’un article réellement pertinent sur tel ou tel site de presse, de l’analyse intéressante publiée par un blogueur ou d’une vidéo qui nous aurait permis de mieux comprendre un sujet complexe en quelques minutes, le tout perdu dans un flot d’informations plus ou moins identiques publiées ici et là. De la transformation d’internet en photocopieuse géante… Car là réside une partie du problème : d’un site à l’autre, que l’on parle de la presse généraliste, plus spécialisée, ou même de blogs influents, on retrouve souvent la même information, pas toujours traitée sur le fond ou avec un angle spécifique, lorsqu’il ne s’agit pas simplement de la même dépêche AFP reprise en chœur. Parfois, c’est même l’occasion d’une petite notification au passage étant donné l’importance « vitale » du sujet (ou son potentiel de buzz) : Bref, l’info du jour c’était que… #UneDepêchePourLesNotifierTous pic.twitter.com/pvH1Xfrz8S — David Legrand (@David_NXi) 2 Janvier 2015 Ainsi, une bonne partie du contenu produit n’est pas tant le fruit d’une réflexion ou d’une analyse que la reprise d’une information le plus souvent à peine agrémentée, surtout dans les premières heures qui suivent son apparition. Plus tard, lorsque sera venu le temps des analyses (ou du démenti), les lecteurs seront passés à autre chose. Le plus souvent, ils se contenteront d’un titre, d’un résumé ou d’une information tenant en quelques lignes, quitte à perdre en nuances et en exactitude du fait de la contraction des choses. De quoi alimenter les repas du dimanche en demi-faits et autres analyses à l’emporte-pièce sur fond de « Mais si, je l’ai lu l’autre jour ! » … avec un zeste de « téléphone arabe » Une situation assez bien résumée par l’équipe de L’imprévu, un projet de site d’information né à l’occasion d’un rendez-vous entre plusieurs ex-membres du site Owni.fr qui devrait être lancé début 2015 :  « Un tigre — qui n’en est pas un — gambade à travers la Seine-et-Marne. Nabilla est sortie de prison après plusieurs semaines de détention. Et pendant ce temps, un poissonnier exhibitionniste est convoqué devant le tribunal correctionnel de Béthune. Qu’elles soient insolites, tristes, choquantes, de nouvelles informations viennent chaque jour en remplacer d’autres. L’actualité nous tient en haleine et ne s’arrête jamais. Nous en percevons la complexité mais nous avons de plus en plus de mal à en comprendre les enjeux. L’imprévu est né de ce besoin : s’extraire du flux, se détourner des sentiers balisés, bref, faire un pas de côté. Nous voudrions vous donner les moyens de sonder la société et de mieux cerner les rapports de pouvoir qui la transforment. Le tout à votre rythme, car le temps est un luxe. Il permet d’enquêter, de comprendre et de transmettre. » Un billet dont le titre fait référence aux médias et autres sites de divertissement qui s’étaient jetés sur l’affaire du « Tigre de Seine-et-Marne » qui n’était finalement… qu’un gros chat. Un félin qui avait tout de même donné naissance à un buzz mondial pendant quelques jours. « Il ne faut pas courir devant le #tigre car par peur, il peut attaquer »:un dompteur de #Pinder.https://t.co/6m6L78Aod4 pic.twitter.com/HthV0LmGVo — France Bleu 107.1 (@FBleu1071) 13 Novembre 2014 Le modèle économique : la source de tous les maux Une situation qui ne vient pas de nulle part, mais tient en un problème assez basique à comprendre : la quasi-totalité des médias opte pour un accès gratuit, financé par la publicité et dépend de manière importante du référencement sur Google et/ou les réseaux sociaux (la proportion pouvant varier de manière assez importante d’un site à l’autre) pour ce qui est de l’audience. Une audience dont la métrique principale est le fameux nombre de pages vues, et ce, pour une raison simple : la publicité est le plus souvent payée au CPM (Coût Pour 1000 affichages). C’est donc le carburant des sites qui se doivent d’en produire le plus possible afin d’assurer leur financement, quitte à utiliser certains artifices comme le rafraîchissement automatique pour faire gonfler ce chiffre, tel un sportif en manque de bons résultats qui tente de trouver refuge dans les stéroïdes et autres produits dopants.  Car au fur et à mesure, cette métrique est aussi devenue vitale pour la perception des sites. Plus ce chiffre grimpe et plus vous êtes considéré comme populaire, influent… bref, reconnu. Les lecteurs ne restent que quelques secondes sur vos pages ? Vous mélangez le rédactionnel et des services à forte audience dans vos statistiques ? Certains espaces ne sont pas visibles ? Une bonne partie l’est seulement par des robots ? D’autres sont affichés dans des onglets qui ne sont jamais en premier plan ? L’ensemble est tout sauf efficace ? Qu’importe. Les sujets ne manquent pas, mais les rédactions appliquent les recettes qui marchent Le but n’est alors plus de satisfaire le lecteur, mais de l’attirer. De le faire cliquer en masse afin d’être présent dans le Top 10 des sites les plus visités, et capter l’intérêt des annonceurs, qui font de plus en plus face à des groupes constitués et organisés afin de dispenser leur bonne parole aux différentes cibles (voir notre analyse). Et les sujets ne manquent jamais. Chez Next INpact, on s’amuse parfois à se dire entre nous « Non, mais les jours qui viennent, vous allez voir, ça va être calme », mais au final, on en arrive tout de même à faire le point sur les techniques de décryptage de la NSA entre Noël et Nouvel An. Et quelle meilleure période pour annoncer la nomination de l’éventuel prochain Président de l’ARCEP, ou publier un décret d’application d’un article important de la Loi de Programmation Militaire ? Le Gouvernement ne s’y trompe d’ailleurs pas et l’on se retrouve avec un Journal Officiel de plus de 1100 pages au 31 décembre. Autant dire que ce n’est pas là qu’il faut être en équipe réduite afin de décortiquer la chose. Mais lorsque les équipes sont réduites, on se focalise sur l’essentiel. Et l’essentiel peut avoir différentes définitions. 1120 pages pour le #JORF du jour. Le petit retard est excusé 🙂 — marc rees (@reesmarc) 31 Décembre 2014 Les « Top 10 » des actualités qui sont publiés en ce moment par nos confrères le montrent bien, les résultats sont là : les lecteurs sont avides d’articles au titre accrocheur, de sujets « People », de billets de blog qui font le buzz republiés au sein d’un site à forte audience, et heureusement, d’articles d’analyses ou de témoignages… qui sont plus rares, notamment parce que plus long et plus coûteux à produire. Du modèle économique résulte donc l’intérêt de rédiger rapidement, et à coût minimal, des articles qui concernent les déboires de Nabilla ou de Valérie Trierweiller, dans l’espoir que cela finance le reste (et de ne pas trop souvent se faire attraper par @clicdemoins). Le lecteur n’est plus un citoyen à informer, mais un revenu (ou un ennemi) potentiel Et si le tarif de la publicité baisse parce que tout cela n’est plus assez efficace ? On multiplie les espaces. Cela ne suffit plus ? La vidéo et les publicités natives sont là ! Les utilisateurs sont gênés et utilisent Adblock et ses dérivés ? Multiplions les espaces à nouveau sans chercher à résoudre le problème à la racine… puis cherchons à limiter son usage en limitant l’accès au contenu (même si l’on sait ce combat perdu d’avance).

 

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